Tuesday 15 August 2017

Il faut maintenant se poser la question, pourquoi la faculté de comparaison serait elle le "penchant au mal", et s'il en est ainsi quelle est la nature du "bon penchant".
Il faut tout d'abord préciser que dans la tradition juive, le bien et le mal ne sont pas des notions morales, mais des mesures de la proximité où à l'éloignement par rapport au divin considéré comme le seul bien absolu1.
Le mot yétser à la même étymologie que le mot tsourah signifiant forme ou image, il peut donc être rendu littéralement par le terme représentation. Le yétser tov serait donc la "bonne représentation2" du monde celle qui confère aux choses leur sens véritable, afin que nous puissions les utiliser à bon escient pour nous rapprocher du bien c'est-à-dire de Dieu3. Le yétser harah n'est toutefois pas une "mauvaise représentation" mais une "représentation du mal".
Nous pouvons comprendre cette nuance en réfléchissant à la fonction de la faculté de comparaison chez l'animal et chez l'homme, à savoir la survie biologique et chez les primates en particulier la survie sociale. La faculté de comparaison nous sert à nous représenter la réalité qui nous entoure, afin d'agir de la manière la plus adéquate pour survivre, mais pour ce faire ne prend en compte que l'extériorité du monde, pas son intériorité, son sens, sa signification authentique, or une représentation du monde limitée à son extériorité ne peut nous rapprocher de Dieu, mais bien au contraire nous en éloigner, la faculté de comparaison qui la produit peut donc à juste titre être qualifiée de "représentation du mal", pas qu'elle soit essentiellement mauvaise, elle s'avère même nécessaire pour la survie physique, mais parce qu'elle est limitée à la seule extériorité du monde qui nous cache le divin. (à suivre)
1Dere'kh Hachem première partie, chapitre deux, paragraphe un.
2 Le yétser étant ce qui donne forme (tsourah) aux choses dans notre esprit.

3Cf Likoutei Moharane première partie, leçon un.   

Thursday 3 August 2017

Alors que les penseurs médiévaux faisaient de l'activité intellectuelle de l'homme une catégorie à part de la nature, qui l'élevait au dessus de l'animal capable uniquement de mémoire, d'émotion et d'imagination, Rav Na'hman semble réintégrer l'homme dans l'ordre naturel en ce qui concerne l'exercice de son intelligence, avec toutefois la réserve qu'il serait capable d'accéder à une forme d'intellect spirituel à condition de briser totalement ses désirs physiques. Il abandonne donc le dualisme médiéval tel qu'il fut repris par Descartes, pour professer une théorie originale qui distingue deux formes de pensée. L'activité intellectuelle habituelle de tous les êtres humains qui est une faculté physique, et une forme de pensée inspirée qui semblerait être l'apanage d'une élite spirituelle et qui serait une manifestation de l’âme transmettant ses perceptions spirituelles à la faculté de comparaison, qui les traduirait passivement en métaphores compréhensibles par l'intelligence humaine. (à suivre)

Tuesday 18 July 2017

Rav Na'hman associe lui aussi la faculté de comparaison au corps et à l'animalité en ce qui concerne la mémoire affirmant que "la mémoire fait partie de la faculté de comparaison, car même l'animal a une mémoire, comme on peut le voir, même une vache même se souvient qu'elle a été mordu à tel endroit par un chien, et évite cette endroit "1, mais il fait aussi intervenir la faculté de comparaison à propos de l'étude de la Torah, affirmant que certain érudits "innovent dans la Torah des choses qui sont facilement acceptable car elles proviennent de la faculté de comparaison qui associe une chose à une autre" et bien qu'il soit possible de concilier cela avec l'opinion des penseurs médiévaux qui mettent en garde au sujet des erreurs causées par la faculté de comparaison, les propos de son disciple principal Rabbi Nathan2 ne prêtent pas à l'équivoque, il affirme en effet que "l'intelligence de l'ensemble de l'humanité n'est qu'une manifestation de la faculté de comparaison et même les connaissances scientifiques majeures découvertes par les savant et les philosophes, sont le fruit de la faculté de comparaison qui compare une chose à une autre jusqu'à parvenir à faire une nouvelle découverte", il semblerait donc que même ce que nous appelons "la pensée rationnelle" soit dans le système de pensée de Rav Na'hman le produit de la faculté de comparaison.  Il la distingue toutefois de l'intériorité de "l'intellect méditatif " dont la fonction est de percevoir "Celui qui parla est le monde fut" au quel il est impossible d'accéder par une méthode intellectuelle, sauf "en brisant totalement et parfaitement les désirs physiques". Dans l'ouvrage Kokhvei Or un disciple de Rabbi Nathan affirme par ailleurs que la faculté de comparaison serait l'opposé de la Binah, un des aspect de "l'intellect méditatif" qui ne consiste pas à déduire une chose d'une autre de manière logique, mais à deviner de manière intuitive une notion contenue dans une autre. Dans l'étude de la Torah la réflexion rationnelle ne constituerait donc qu'une mise en condition mentale, permettant d'accéder intuitivement à la vérité, pour peu qu'on possède les qualités spirituelles adéquates.(à suivre)
1Likoutei Moharane 19:9

2Likoutei Hala'khoth troisième volume page 458.

Sunday 9 July 2017

Faculté de comparaison (suite)

Le kabbaliste Rabbi 'Haïm Vital1 un disciple majeur du Ari2 élabore sur le sujet3 : "l’âme animale … se divise en deux facultés externe et interne, l'externe se subdivise en deux facultés la perception et le mouvement, la perception se divise en cinq sens qui la constituent, la faculté interne se subdivise en deux qui sont la faculté de comparaison et la motivation, la faculté de comparaison se divise en deux : la compréhension et la mémoire … tous les cinq sens proviennent du cerveau lui-même où est située leur origine … et tous sont appelés extériorité car ils sont tangibles et matériels, car ils captent un stimulus effectif, mais l'intérieur appelé "faculté de comparaison" qui est situé dans le cerveau lui-même et y produit l'impression que que cette sensation se situe réellement dans le cerveau et lui donne forme... un autre pouvoir de la faculté de comparaison est de se représenter les choses autrement qu'elles ne sont en réalité, ce qui est exclu en ce qui concerne la sensibilité externe, d'autre par la faculté de comparaison ne peut représenter que des choses matérielles pas des formes spirituels appelés essence et âme... ".
Dans la pensée médiévale la faculté de comparaison est donc une manifestation de l’âme animale et de se fait ne peut pas appréhender des notions abstraites comme la spiritualité, mais peut seulement donner forme aux informations sensorielles et les enregistrer, pour les utiliser ou les transformer. La pensée rationnelle abstraite est l'apanage de l'être humain, de part son âme "parlante"4, une entité spirituelle responsable non seulement de la réflexion sur des sujets abstraits, et de la découverte de la réalité à travers les sciences de la nature, mais également des innovations technologiques et de la pratique des arts et métiers. Seule l’âme parlante est capable de raison, c'est-à-dire de distinguer le vrai du faux, et possède par la même un vrai libre-arbitre la faculté de comparaison ne peut que vouloir et désirer les choses en fonction des critères du "bien et du mal", c'est-à-dire de l'utile et de l'agréable. l’âme parlante est toutefois incapable de créer par elle même des représentations de la matière, et doit pour ce faire recourir à l'imagination issue de la faculté de comparaison. Il semblerait que la Kabalah est reprise à son compte de nombreuses notions aristotéliciennes que l'on retrouve déja dans le "guide des égarés".(à suivre)

1 Safed 1543, Damas 1620
2 Initiales de Achkenazi Rabbi Isaac : Rabbi Isaac Louria Jérusalem 1534, Safed 1572
3 Ets 'Haïm 7ème Palais 10ème Porte chapitre 10 : Le vivant...

4 ibidem

Wednesday 28 June 2017

  1. Discours sur la faculté de comparaison.

Dans le discours 25 du Likoutei Moharan, Rav Na'hman de Breslev déclare : "On ne l'appellera plus penchant au mal, mais simplement faculté de comparaison". Pour comprendre la nécessité de rebaptiser de cette manière le penchant au mal, il nous faut définir tout d'abord ce qu'est la faculté de comparaison. Ce terme est employé dans la philosophie médiévale, entre autre par Maïmonide1, qui la définie comme la faculté qui se souvient des impressions des sens, les associe et les dissocie. Cette notion est empruntée à Aristote2, avec quelques nuances. Il semble cependant d'accord avec Aristote sur le fait que la fonction de la faculté de comparaison est de collecter les impressions des sens, qui sont conservées dans la mémoire pour être rappelées ultérieurement et associées (ou dissociées) fournissant la matière brute de l'imagination. Pour ces penseurs cette faculté n'est pas l'apanage de l'homme, mais pour la raison même qu'elle se retrouve chez les animaux, ils en limitent la fonction à la production "automatique" de chimères par association et dissociation de souvenirs sensitifs. Elle n'intervient dans la pensée rationnelle que d'une manière subalterne, et son interaction avec la raison est au détriment de cette dernière. Pour ces penseurs la raison humaine n'est pas le produit de la faculté de comparaison, mais du pur intellect. (à suivre)

1 Chemoneh perakim, et guide des égarés deuxième partie, 36

2 Physique humaine, sur l’âme.